Le monde professionnel adore les mots anglais et celui du marketing aime encore plus donner des noms ultra swag à de grands fondamentaux de notre société voire de notre condition humaine. Le storytelling en fait partie.
La capacité à raconter des histoires est devenue une méthodologie que nous devons réapprendre tant elle est efficace. Pourtant, l’Homme le fait naturellement depuis la nuit des temps ! Il s’en sert pour transmettre ses héritages culturels, faire passer des messages importants, prévenir certains dangers, convaincre, éduquer, fédérer, simplifier des complexes abstraits.
Bref, l’art de raconter de belles histoires est en nous et mérite que nous en retrouvions les ficelles pour l’utiliser à bon escient.
Une image vaut 1000 mots ? Pas toujours !
Je ne suis pas d’accord pour dire qu’une image vaut 1000 mots. Pas toujours.
Parfois les mots sont nécessaires car ils ont un pouvoir qu’une image seule n’a pas : ils proposent une séquence temporelle.
Un enchaînement. Ils permettent de distiller des faits, des informations, des détails au bon gré de celui tenant la plume ou le clavier.
C’est le principe de révélation qui possède une capacité bombesque : celui de partir d’une situation initiale, de présenter un ou plusieurs acteurs principaux, d’amener un fait contraignant qui empêche le ou les héros d’accomplir leur rêve ou leur mission, de proposer des rebondissements offrant aux protagonistes l’opportunité de surmonter ces mêmes contraintes et d’arriver (ou non) à leur fin.
Cet art de présenter des éléments dans un ordre choisi, pour capter l’attention, susciter l’émotion, voire provoquer l’adhésion est un pouvoir que seules les histoires possèdent.
On peut certes raconter bien des choses avec une BD ou une série de photos et d’images mais dans ce cas là on ne parle plus d’une image mais de 1000 images et je ne suis pas sûre que l’on parvienne à dire les mêmes choses ou créer les mêmes effets qu’avec autant de mots.
Les 2 ne s’opposent pas, ils se complètent, mais une histoire reste une histoire et des mots restent des mots : irremplaçables.
Pourquoi les histoires sont de fabuleux vecteurs d’idées ?
Cela peut sonner comme une évidence mais quelle est la différence majeure entre un argumentaire marketing et une histoire ?
- Un argumentaire marketing est une séquence d’items se voulant convaincants pour amener son interlocuteur à adhérer à son projet, son produit ou son service. Aussi cohérents puissent-ils être, des arguments penchent plus souvent vers le versant rationnel. On évoque des besoins implicites ou explicites de clients actuels ou potentiels et on tente d’y répondre !
- Une histoire n’a pas de vocation rationnelle : au contraire ! C’est notre vécu, notre personnalité, nos réussites, nos échecs, nos épreuves, nos forces, nos fragilités : bref, nos émotions et notre identité que des histoires viennent réveiller.
Si une histoire parvient à répondre à vos questions plus ou moins conscientes, à amener de la joie quand vous en avez besoin, du suspense voire des frissons quand vous en recherchez, des explications quand un sujet jusque là trop conceptuel ou abstrait vous échappait, des arguments même, indirectement, par le biais de personnages inspirants et convaincants : alors cette histoire vous saisira.
Vous vous en rappellerez et vous aurez même envie de la raconter à votre tour.
L’histoire dépasse son statut d’histoire; elle devient un support d’idées à part entière qui se propage à la vitesse de notre goût pour la vie.
2 exemples de storytelling réussis
1 – Altra Running : des chaussures de running marginales au look improbable
C’est l’histoire de 3 amis, passionnés de course à pied, travaillant dans un magasin de running, qui ne font que constater l’accumulation de blessures chez les runners.
Ils se demandent alors comment ce sport peut générer autant de contraintes alors que l’Homme est fait pour courir (« Born to Run ») !
- Ils observent des jeunes enfants courir avec comme sans chaussures ou n’importe quel runner adulte courir pieds nus et ils constatent que leur technique de course n’a rien à voir. Il semblerait que les adultes aient perdu leur technique d’enfants, pourtant naturelle et parfaitement adaptée au corps humain. Pour autant, il n’est pas question de tomber dans le minimalisme et de suivre la veine de la course pieds nus ou des minuscules semelles (type Vibram Five Fingers). Les 3 amis sont persuadés que les terrains de jeu modernes nécessitent une semelle un minimum amortie.
- En revanche, ils ne voient pas l’intérêt de concevoir des chaussures ayant un talon légèrement surélevé : ce que l’on appelle « le drop » en langage technique et que l’on retrouve dans une immense majorité de modèles de chaussures de running. Le pieds est à plat au naturel : pourquoi créer des chaussures qui ne le sont pas ?
- Deuxième chose : les chaussures classiques ont un avant pied étroit qui contraint les orteils et les empêche de jouer leur rôle de grip naturel, stabilisateur et bénéfique pour les phases de réception comme de propulsion en course à pied. Quelle idée de priver le pied de ses capacités naturelles pour des raisons purement esthétiques ?
- Face à ce constat, les 3 acolytes proposent à leurs clients de retirer le talon excédentaire de leurs chaussures pour leur offrir une chaussure parfaitement plate. A l’arrache, dans un garage (comme de nombreux débuts d’histoires à l’américaine !), ils mettent les semelles dans un grill et rognent les chaussures de leurs clients qui paient 10 à 15$ supplémentaires pour ce service des plus saugrenus !
Les 3 amis racontent que sur 100 clients, seuls 3 se sont plaints d’un inconfort de course versus 97 parfaitement satisfaits de leur nouvel accessoire de running, pour le moins unique. Ils expliqueront par la suite que les 3 insatisfaits avaient remarqué ressentir des contractures aux mollets, typiques d’une transition trop rapide entre une chaussure classique et une chaussure « zero drop ». Un concept qu’ils développeront par la suite en proposant une véritable méthode de transition pour aider un nombre croissant de coureurs à retrouver leur « véritable technique de course », celle qui correspond à leur technique naturelle et qui a le moins de risques de les blesser !
Après avoir été lancée et propulsée par le groupe Icon Health and Fitness (iFit Health and Fitness aujourd’hui), la marque Altra Running est acquise par le groupe VF Corp en 2018 alors qu’elle générait déjà un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions de dollars après tout juste 10 ans d’existence !
Son storytelling fait le tour du monde et séduit une niche d’afficionados et de puristes avant de s’étendre vers un public beaucoup plus large, dans un marché pourtant très concurrentiel voire saturé.
2 – Nike et sa campagne « Make it Count »
Nike a su créer toute une histoire autour de sa campagne “Make it Count” en utilisant de véritables obstacles comme des leviers de promotion de son message ! Une stratégie idéale pour incarner son slogan avec bien plus de puissance que via une campagne classique.
« Make it count », c’est l’histoire de Casey Neistat, réalisateur et Youtubeur, à qui la marque confie un budget conséquent pour créer une vidéo de campagne autour de la punchline “Make it count”. Ultra confiant dans ce créatif expert en conception de vidéos et dans son binôme Max Joseph, Nike ne lui met pas de pression particulière sur le contenu à produire. Erreur. Ou pas.
Un peu blasé par les vidéos de sport classiques passablement redondantes, Casey choisit d’empocher l’argent et de le dépenser jusqu’à épuisement lors d’un voyage avec son binôme Max. Après tout, on lui demande d’incarner la punchline « Make it count » qu’il décide de prendre à la lettre en s’offrant le voyage le plus extraordinaire possible, lui faisant vivre chaque moment comme un moment d’exception : unique et irremplaçable.
Casey se film en mode vlog dans les 4 coins de la planète avec un seul plan récurrent peu importe l’endroit magique où il se trouve : celui de courir de la gauche vers la droite de l’écran.
En rentrant de son expédition, au bout de 10 jours, le budget Nike totalement consumé, Casey se retrouve face à une problématique aussi réaliste que son idée ne l’était pas : il n’a rien à proposer à la marque. Rien d’autre que 2 disques durs bourrés de vidéos de Max et lui aux 4 coins de la planète.
Les équipes Nike sont affligées d’autant que Casey ne porte même pas un FuelBand à l’image mais une Casio et encore mois une paire de Nike à ses pieds ! Bagout maximum. Le Youtubeur propose alors de tourner de nouvelles scènes a posteriori, Nike aux pieds et de les intégrer dans un montage plus axé vlog que campagne classique. Osé.
A quelques ajustements près, la marque est séduite.
Casey a frôlé le désastre en suivant son intuition culottée, à des années lumières du fonctionnement et de la prestance de la marque mais son idée première et viscérale transparaît dans la campagne qu’il n’a pas produite mais vécue !
Et c’est là que se trouve toute la puissance de cette vidéo et de Nike qui ne fait finalement jamais rien comme les autres. Non seulement la marque a su promouvoir sa campagne avec ce storytelling mais la création de la campagne est elle même une histoire à part entière : celle de 2 amis qui donnent du sens et de la puissance à chaque seconde de leur épopée et nous invitent à en faire autant dans notre vie.
Révélation : la vidéo intégrale de Casey Neistat pour Nike: « Make it Count »