Freelance ou salariés : toutes ces injonctions qui ne vous veulent pas du bien

Certains parlent de start-up nation, d’autres plus largement des millenials : cette génération qui veut s’affranchir de nombreux codes, repenser son rapport au travail et le revendiquer. Cette génération qui ne veut plus faire comme les X ou les W (baby boomers.) Leur compréhension des Y restant préservée par un point commun majeur : le digital.

Y-Gen : digital native mais pas digital addict

Née en 1984, en cette journée si spéciale du 11 septembre (pour la petite histoire, même si j’aurais préféré naître lors de la journée mondiale de la paix !) – je me reconnais très bien dans les descriptifs de la Ygen ou génération Y.

Je déteste les cases et les catégories, mais restons humbles : nous ne sommes jamais entièrement libres. Nous sommes façonnés par notre éducation parentale, scolaire et par les mouvances sociales dans lesquelles nous grandissons.

Je me rappelle encore avoir eu accès à Internet au lycée, voire même seulement en Terminale et m’être inscrite à Facebook en fin de MBA. Je vous rassure, j’ai eu une enfance et une adolescence heureuses malgré tout (ponctuée de Tamagoshi et de Tatoo !)

Freelance à 34 ans

Bref, toute YGen que je suis, c’est à 34 ans que j’ai choisi de passer d’un CDI à un statut freelance là où les Millenials viseraient plus facilement ce statut dès leur sortie d’école. Telle une évidence. Un Graal bien mérité après des années d’études toujours plus axées terrain et réalité opérationnelle de l’entreprise. Certains diront que gérer sa liberté demande de la maturité et qu’un passage préalable par l’entreprise est nécessaire. D’autres que la liberté se gère très bien quand on sort des carcans de la carrière idéale et que l’on mise avant tout sur son indépendance et son bien être.

Je n’ose pas écrire “son bonheur”. J’y reviendrai plus tard.

Alors, oui le statut freelance porterait bien son nom et évoquerait une liberté si chère aux Z comme à nous tous finalement. Si nous prenons la définition française du mot “freelance”, il s’agit tout simplement de “travailleur indépendant”. C’est plus factuel; moins évocateur d’un Eden au travail quoique.

Être indépendant implique-t-il d’être libre ? Là est la question !

Venons en au fait.

Ces injonctions qui nous rendent malades

J’échangeais l’autre jour avec un professionnel de santé qui me disait :

“Je connais des professeurs de yoga ou même des pratiquants réguliers qui sont en burn out à cause de la pression qu’ils se mettent !”

Cette remarque m’a mis la puce à l’oreille, et pas qu’un peu.

Notre société actuelle est obsédée par le bien être, le bonheur, le lâcher prise, le fait de “venir comme on est” (coucou MacDo) ou de “devenir soi même” (coucou l’armée de Terre). Bref, autant de punchlines qui appellent à la liberté totale, à l’affranchissement du regard des autres et à une vie sans peurs ni doutes. Fiers, confiants, libres, indépendants.

Ces obsessions sont les symptômes d’une société qui est en réalité foncièrement tout l’inverse. Névrosée, obsédée par le contrôle, sur-consommatrice de matériel et détachée de sa part spirituelle. Alors on cherche, on cherche et on se convainc tous les jours à coup de pensée positive que “c’est le fun” (expression québécoise) et surtout : on le dit sur les réseaux sociaux. Ça aide dans l’auto persuasion et si les autres y croient, peut être que nous aussi.

Quel rapport avec le statut freelance ?

Freelance : cible privilégiée du “must”-be/-have/-feel/-do

Je pense que ce statut qui n’est ni mieux ni moins bien qu’un autre, se pare à son tour progressivement d’un lot d’injonctions en voie de devenir insupportables.

Être freelance c’est travailler dans son jardin au soleil; c’est éventuellement avoir des collègues dans un bureau, mais parlons plutôt d’amis. C’est ne plus avoir de frontière entre sa vie pro et sa vie perso. Le travail devient un hobby et la vie perso un travail.

C’est gagner plein d’argent en travaillant soit disant 5 fois moins.

C’est changer le monde à sa manière en décidant pour quel client on travaille et pour quel client on ne veut pas travailler.

C’est bosser en pyjama de chez soi ou en T-shirt avec une casquette à l’envers (très important) sur fond de babyfoot et de bocaux remplis de bonbons en libre accès.

C’est ne jamais stresser pour son travail parce que le travail c’est cool voire un pur plaisir, tant qu’à faire.

C’est ne pas avoir de problème avec son patron parce que l’on n’a plus vraiment de patron. Le management est transversal où comme à l’armée : “la fonction prime sur le grade”.

C’est la jouer collectif dans un monde individualiste.

C’est avoir tout compris dans un monde professionnel encore inerte de son salariat ancestral.

C’est oser la mobilité, le changement et la diversité parce que la vie est courte et que rien ne vaut la vie.

C’est ne plus craindre la concurrence parce que tous les freelances sont des alliés. Les plateformes qui les rassemblent parlent même de “tribus”.

C’est appartenir à un nouveau mode, un nouveau monde.

Freelance version #NoFilter

Alors oui, être freelance apporte son lot de bénéfices mais aussi d’angoisses.

Travailler dans son jardin au soleil (ou dans un parc) c’est aussi travailler seul devant son écran. Ne plus avoir de frontières entre vie pro et perso c’est être d’une autre manière, esclave du monde moderne, hyper digitalisé, hyper connecté, hyper addictif.

C’est faire face à l’insécurité permanente de l’absence de mission, sans palliatif financier.

C’est se charger tout seul de sa comptabilité, de sa mutuelle, de sa retraite, de ses économies.

C’est être tellement formaté par l’idée que le travail doit être un plaisir qu’il est devenu impensable de penser différemment et que l’idée même de ne “pas avoir envie d’y aller” devient culpabilisante.

C’est l’injonction du cool, du zen, d’une liberté qui s’acquiert bien plus difficilement que par le simple fait de choisir ses horaires de travail.

C’est le rejet d’une part de doutes, de peurs, d’émotions pour se confondre dans la peau unique du freelance épanoui et détaché.

C’est sous une autre forme, encore, une injonction au bonheur.

Alors il me semble urgent de considérer que l’on peut être parfaitement épanoui en tant que salarié comme en tant que freelance. Tout comme on peut être profondément malheureux dans les 2 cas.

On peut se sentir libre en entreprise et sclérosé dans sa vie de freelance.

On peut aller travailler avec légèreté en entreprise ou le ventre noué en tant qu’indépendant.

On peut être heureux au chômage et mourir à petit feu dans une entreprise toxique qui ne vous met pas en valeur.

On peut tout en fait.

Il est temps d’ouvrir à nouveau nos esprits, de donner de l’air à notre libre arbitre, de fuir la pensée unique et d’écouter notre intuition. Les injonctions sont la gangrène de notre monde actuel. Elles tuent la spontanéité, elles tuent l’authenticité des relations, elles tuent le rapport des entreprises à leurs clients, elles tuent la diversité des êtres, elles tuent les sentiments elles tuent la vie.

Pour aller encore plus loin :