Rapha : quand une marque de sport décide de créer « un marché » bien plus qu’un « produit » – Analyse BILS en 4 étapes.
Du manque à l’idée créatrice
Simon MOTTRAM, fondateur de RAPHA, était au départ un consultant pour de grandes marques. Inconditionnel de cyclisme sur route à ses heures “gagnées”, le stratège n’en demeurait pas moins hautement sensible à l’esthétique et à l’harmonie de son environnement.Pourtant, à l’époque, le cyclisme sur route était encore ce sport de niche attribué à quelques hurluberlus en lycra fluo, à des “commuters” se battant avec le trafic du jour ou encore à des livreurs. Il devait exister autre chose que cela, si ce n’était en Europe, quelque part ailleurs dans le monde. Mottram est alors parti en voyage, passant entre autres par le Japon, en quête d’une ou plusieurs marques offrant aux cyclistes, aux vrais, aux purs, une offre à la hauteur de leur idéal.Il devait en exister au moins une. Mais en vain.Simon MOTTRAM raconte ne pas avoir une un déclic mais une succession d’inspirations, de pensées, de prises de conscience qui l’ont amené, progressivement, à identifier un manque, à chercher des solutions existantes, à constater qu’il n’en n’existait pas encore puis à réaliser que c’était à lui de les créer.
“I’m not sure there was a “moment” when the lightbulb went on but rather a “drip drip” that grew into a river then into a sea”
(Simon MOTTRAM)
Viser loin mais agir séquentiellement
MOTTRAM considérait que la priorité dans l’univers du cyclisme était de proposer d’autres tenues et textiles aux pratiquants. Des tenues pas seulement fonctionnelles mais (enfin) esthétiques. A la hauteur du potentiel visuel de son sport.
« Cycling is really an aesthetic thing (wheels, bodies, beautiful machines) – it is an incredibly visual sport. We wanted to reflect that and do it in a much higher quality than it had been done before. »
(Simon MOTTRAM)
Sa vision allait bien plus loin que cette première dimension “produit”, mais il fallait commencer quelque part. Nous verrons d’ailleurs comment la force de Rapha est devenue aujourd’hui de vendre des produits textiles non comme une fin en soi mais comme un levier d’expansion d’une cause plus vaste encore.C’est en 2004 que Simon MOTTRAM crée la marque RAPHA et affiche l’énoncé de mission ou “mission statement” suivant :
RAPHA A POUR AMBITION DE FAIRE DU SPORT CYCLISTE LE SPORT LE PLUS POPULAIRE AU MONDE
La mission d’une marque doit être claire, sans équivoque et ambitieuse. Pour créer il faut de l’énergie et cette énergie provient d’une intention forte.Nous voyons bien ici que Rapha ne considère pas que sa mission est de proposer des produits beaux et haut de gamme aux cyclistes.C’est toute la force du socle de la marque Rapha et de la vision de son créateur.Ce qui serait pour certains une mission à part entière : “redéfinir les notions de confort, de performance et de style auprès des cyclistes, qu’ils soient grands débutants ou professionnels du WorldTour.” n’est pour Rapha qu’un levier. Un levier primordial certes, mais qu’un intermédiaire pour atteindre une “ambition” presque infinie.
Créer un marché à part entière et ne pas s’arrêter aux produits
C’est sur ce point que Rapha excelle.Les attributs de la marque ont beau être clairs et nets :
- esthétique,
- amour inconditionnel du cyclisme sur route,
- authenticité,
- respect entre sportifs de tous niveaux,
- puissance communautaire;
son ambition est ailleurs.
“Our competitors help us promote the sport. It doesn’t worry us because what we do is so different. We don’t want to take a part of the market, we want to build the market”
(Simon MOTTRAM)
Simon MOTTRAM a depuis le début une obsession : vivre sa passion du cyclisme, si possible quotidiennement et la partager au plus grand nombre pour leur ouvrir les yeux sur le monde. Développer des tenues esthétiques, haut de gamme, qui mettent en valeur les corps en mouvement est bien sûr au coeur de l’opérationnel chez Rapha. Mais la visée finale est de développer la popularité du cyclisme. Une mission qui libère la marque du poids de ses concurrents puisqu’il ne s’agit plus de se battre produits contre produits mais de cumuler ses efforts pour élever un sport.
Se focaliser sur les besoins viscéraux de ses utilisateurs
S’il y a bien une chose que Simon MOTTRAM répète au cours de ses divers interview, c’est aussi son obsession pour les besoins des cyclistes eux mêmes.Il dépasse totalement la notion de niveaux de performance qui n’a pas sa place pour lui chez Rapha. Le cyclisme peut permettre à chacun d’explorer le monde différemment. On n’acquiert pas de droit supplémentaire au plaisir ou à l’épanouissement en fonction de son niveau. MOTTRAM déplore d’ailleurs les dérives du cyclisme professionnel :
“The sport has got itself tied up in a crazy economic structure : it is awesome to work with professional teams but fundamentally, the distance between this professional sport and what we do everyday and in the weekends is getting further and further away.”
(Simon MOTTRAM)
Les outils marketing déployés pour identifier ses personae et mieux connaître sa cible ne doivent pas être sur-utilisés en théorie, à l’écart de la réalité du marché. Aller à la rencontre de ses utilisateurs, les interroger, passer du temps avec eux, connaître leurs habitudes, leurs rituels, leurs besoins mieux qu’eux mêmes, est le centre névralgique de la pertinence d’une marque.Dans cette logique, Rapha vend quasi exclusivement en direct pour maintenir un lien fort avec son “public”. Ses magasins physiques ne sont pas de banals “shops” mais des “club houses”. On y propose les collections Rapha mais aussi du café, des snacks, la retransmission de courses en direct et des départs de sorties encadrées par les équipes de la marque. Chez Rapha on ne consomme pas le cyclisme, on le vit.
“Rapha wants to be a partner of all cyclists in their cycling journey.”
(Simon MOTTRAM)
Loin du marketing utilitariste ou hédoniste et même un cran au dessus du marketing expérientiel, Rapha incarne le marketing du sens. Nul besoin de soutenir une cause directement écologique ou sociale pour cela. Offrir à ses adeptes l’opportunité d’accéder au monde de façon positive et épanouissante par le biais d’un sport baigné dans l’harmonie est l’esthétique est en soi une mission bourrée de sens.Nous pourrions ajouter de nombreuses choses sur cette belle marque, aussi bien concernant sa philosophie de l’esthétisme à part entière, sa libération des schémas classiques de performance sportive, sa pratique brillante d’un marketing qui s’affranchit de codes classiques et ne s’exprime que par et pour servir un sport et ses pratiquants au profit d’une quête existentielle universelle, etc.Si le sujet du sport ou tout simplement de la création d’une marque et de son développement vous intéressent, je vous invite à écouter les interviews complets de Simon MOTTRAM.