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Marie – 5 février, 2023
Salut Loris, tu es concepteur rédacteur, auteur d’une newsletter sur ton site « copywriting français » et storyteller sur Twitter sous le pseudo @EncreCanaille qui compte 28k abonnés.
Nous nous sommes rencontrés grâce à nos plumes !
Tu as d’abord découvert BILS, je ne sais pas trop comment.
Puis tu as eu l’élégance de me recommander à tes lecteurs, je ne sais pas trop où ni quand.
Enfin, certains sont venus me voir de ta part. Je ne sais plus trop qui.
C’est comme ça que je t’ai connu puis suivi.
J’aime ton approche puriste de la conception rédaction. Tu remets ce métier à sa juste place : jouer avec les mots pour mettre les gens en mouvement (avec force et style).
Mais attends, avant de commencer cette correspondance sur la place de la conception rédaction et de la création de contenu en francophonie, je dois te dire que :
“Nous n’allons pas parler de la pluie et du beau temps. Je suis mauvaise en cheap talk et en fausses questions !”
Alors :
“Es-tu prêt à vivre une expérience de maïeutique ?”
Tu n’as rien à craindre, c’est Socrate qui m’a formée 🙂
Loris – 06 février, 2023
Déso du délai de réponse, j’ai dû me renseigner sur la maïeutique.
Oui, je l’affirme haut et fort : je suis prêt à tenter de mettre en forme des pensées confuses, par le dialogue. Et dieu qu’elles le sont – comme l’illustrent mes divers pseudos, mes changements de formats sur ma newsletter et mes fréquentes apparitions/disparitions.
Pour info, je t’ai connue au hasard du fil d’actu LinkedIn.
Au printemps 2022, le temps que je pouvais allouer à l’écriture non rémunérée s’est resserré mais je voulais continuer d’écrire et d’envoyer ma newsletter. Inspiré par Meat&Hair, une des newsletters d’Ash Ambirge, je suis passé de l’écriture à la curation de contenu, comme on dit.
L’idée : chiner, chaque semaine, 5 formats de texte différents, dont une publication sur les réseaux sociaux, mais unis par leur inspiration créative et leur force d’impact élevée.
En scrollant LinkedIn, je suis tombé sur un de tes posts, que j’ai immédiatement ajouté à la prochaine édition.
J’en ai inclus un autre par la suite je crois. Ce qui est sûr c’est que j’ai dû limiter l’ajout de tes textes parce que sinon ça allait devenir ta newsletter.
À la place, il n’y avait quasi que de la copy en anglais, tellement il m’était difficile d’en trouver d’autres en français qui sortaient du lot.
Il y aurait déjà beaucoup à dire sur le pourquoi, mais ce n’est pas (encore ?) le sujet. Bref, j’ai arrêté d’alimenter mon cabinet de curiosités textuelles mais continué de te lire.
Marie – 06 février, 2023
Du délai ? T’excuse pas, tu rigoles. 1 jour c’est rien.
“Le temps et bon, le ciel et bleu” (pour le coup il est vraiment bleu dans les Yvelines aujourd’hui, et toi au Maroc ?)
Merci pour ces précisions sur notre rencontre fortuite via Linkedin.
D’ailleurs, je crois que c’est un peu un pléonasme de parler de “rencontre fortuite”. Tout est fortuit sur les médias sociaux, non ?
On monte sur son petit piédestal à chaque post, un peu comme une statue grecque et on essaie de ne pas laisser les gens de marbre. Certains fuient, d’autres se rapprochent. On ne sait jamais trop qui. Mais des rencontres se font. Rien n’a changé depuis la Grèce Antique finalement.
Les orateurs se pointaient déjà dans l’Agora avec leurs beaux mots, leurs belles formules en essayant de capter l’attention, de persuader à coups de rhétorique bien ficelée et de remporter l’adhésion collective par des applaudissements massifs.
Mais je reviens sur ce que tu disais à propos des plumes américaines et de la copy en anglais.
Comment – là je hausse le ton – mais sérieusement, comment se fait-il qu’il faille aller aux US pour trouver des copywriters qui soient aussi des writers ?
En fait, des mecs ou des nanas qui écrivent bien : que ce soit pour un bouquin, un édito, une pub. Peu importe. Qui aiment les mots.
Je pense à Cole Schaffer (que j’ai découvert grâce à toi d’ailleurs)
Pourquoi le copywriting en France (voire en francophonie) est-il aussi médiocre ?
Loris – 13 février, 2023
Ici le ciel est plus souvent bleu qu’en Suisse c’est sûr.
Oui c’est dingue ce qui nous arrive quand on se pointe dans l’agora moderne et qu’on joue les orateurs. Si ce n’est fortuit, c’est en tout cas souvent inattendu. Il y a des rencontres et des projets incroyables qui nous attendent.
Le mieux, c’est qu’on ne sait même pas qu’ils existent.
Pour les découvrir, on n’a d’autres choix que de se montrer.
Woody Allen disait que 80% du succès consiste simplement à être présent. Je suis toujours mal à l’aise quand je suis au centre de l’attention, alors je crée des trucs, genre des textes, comme excuse pour me montrer.
La médiocrité du copywriting francophone m’interroge depuis 5 ans.
J’ai plusieurs pistes de réflexion.
Mais je tiens d’abord à dire que je ne me considère pas au-dessus de cette médiocrité. Et l’inverse ne serait pas possible puisque je fais partie d’un monde, celui de la communication commerciale, qui a tendance à écraser toute forme de créativité. Les agences qui produisent du travail vraiment remarquable se comptent sur les doigts d’une main (et elles sont quasi toutes à Paris, ville dans laquelle je ne me vois pas vivre) et pareil pour les entreprises qui accordent une totale confiance à leur équipe créative.
Bien sûr, on essaie de changer les choses à notre niveau, mais seul c’est quasi impossible.
Le problème est d’autant plus ancré qu’il est multi-niveaux. On est plus sur un gratte-ciel qu’un triplex mais je vais me concentrer sur trois aspects sinon ce sera infini.
1. Au niveau des copywriters.
Quand on les lit, on s’aperçoit qu’il y a une bonne culture du marketing, parfois de la psychologie, mais rarement de l’écriture. Il n’y a pas un jour sans que je me rende sur LinkedIn et que je lise: “le copywriting c’est 20% d’écriture, 80% de recherche.” Quand je lis ça mes dents grincent. J’ai envie de m’enfoncer des couteaux dans les yeux et un autre dans le cœur.
Le copywriting c’est 100% d’écriture.
Je ne sais pas pour toi, mais moi, pour rechercher, j’écris.
Parce que je ne me contente pas des résultats Google, mais j’essaie de faire des connexions entre différentes idées. Je vais écrire une accroche de 50 manières différentes, jusqu’à ce que le message soit délivré d’une façon totalement inédite et concise, claire, qui provoque une émotion immédiate.
Le copywriting, c’est 2% d’écriture définitive et 98% d’écriture brouillonne. Là ça devient intéressant.
2. Au niveau de la culture.
D’abord, en francophonie, tout est figé dans des cases.
J’ai eu des débats houleux avec des rédacteurs qui ne voulaient pas ou n’osaient pas se considérer comme des écrivains.
Alors qu’en anglais, dans “copywriter”, il y a “writer” – la discussion n’a pas lieu d’être.
J’écris ? Alors je suis un écrivain.
On me répond : “un écrivain écrit des livres”, non ça, c’est un auteur.
“Alors un écrivain écrit des romans”, non ça, c’est un romancier.
Bref, tu vois le truc. Jouons avec les mots, mais ne soyons pas déterminés par eux.
Ensuite, c’est peut-être une question d’héritage.
J’ai commencé à m’intéresser au copywriting début 2018. À cette époque pourtant proche, on était juste une poignée.
On parlait de copywriting mais on était tous nourris à la mamelle du marketing direct. On considérait les deux comme inséparables.
Les noms de copywriters dont on entend encore aujourd’hui parler ont continué dans cette voie du marketing direct. Perso, ce genre de copywriting m’a vite saoulé ; j’étais peu enclin à vendre des multivitamines miracles à force de pages de vente à rallonge avec faux comptes à rebours et promesses ridicules. J’ai pris d’autres chemins, parfois bons parfois moins bons – maison d’édition digitale, magazines print, dropshipping, freelance, agence de comm’ avec des clients comme Mazda, Migros, etc.
Ce qui m’a permis de comprendre deux choses.
- Le copywriting ne se résume pas au marketing direct.
- Le marketing direct est un outil, pas un style d’écriture.
D’ailleurs, en francophonie, il y a un mur entre les copywriters et les concepteurs-rédacteurs, alors qu’on est censé pratiquer le même métier et qu’un terme est juste censé traduire l’autre.
Dans la pratique, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait de l’expérience en marketing direct (ce qu’on appelle communément copywriting) et en agence (ce qu’on appelle communément conception rédaction).
Quand je travaille dans le domaine du marketing direct, je suis vu comme un artiste, et quand je suis en agence, limite comme un commercial.
C’est fou cette barrière.
3. Au niveau de l’entreprise.
Il m’est arrivé d’admirer le site web de diverses agences mais d’être déçu une fois que j’ai découvert le travail effectué pour des clients.
C’est un peu pareil pour moi – même si je ne devrais pas le dire parce que ce n’est pas très vendeur. Mais je n’ai jamais trouvé un client avec qui j’ai cassé les codes du marché. Avec qui j’ai produit un truc légendaire. J’espère le faire à mon petit niveau mais au final on travaille pour des gens et il faut que ceux-ci soient disposés à prendre des risques. Ce qui n’est quasi jamais le cas.
C’est la culture du salariat.
On préfère faire une erreur en suivant ce qui fonctionne qu’en faisant le contraire de ce qui existe.
Parce que si on n’a pas de résultats en faisant pareil que les autres, on a la logique pour se sauver : “oui mais ça a marché pour les autres, je ne comprends pas pourquoi ça n’a pas fonctionné pour nous.” Alors que si on fait le contraire, on n’a rien pour contrer le blâme.
Mais en faisant pareil que les concurrents, on peut au mieux les égaler. Alors qu’en faisant le contraire, c’est là qu’on a l’unique chance de tellement les surpasser qu’ils devront s’offrir un télescope pour voir jusqu’où on a décollé.
Le courage est une denrée rare.
Les gens préfèrent minimiser les risques d’insuccès que maximiser les chances de succès, parce que c’est la tendance naturelle et que leur milieu professionnel ne fait rien pour la contrer. Forcément, ça a un impact immense sur les fruits de nos collaborations.
Je vais m’arrêter là, trop à dire sur le sujet mais j’aimerais aussi avoir ton avis sur la question ?
Marie – 15 février 2023
Mon avis sur la question est assez concis : ce qui manque le plus aux métiers d’écriture, c’est l’amour des mots.
Quand je parle de métiers d’écriture, je parle de tous les métiers qui utilisent le langage écrit pour provoquer un effet donné sur une cible donnée.
Parfois c’est vendre ; parfois c’est inciter à rejoindre une liste d’abonnés ; parfois c’est provoquer l’engagement, les conversations ou les recommandations ; parfois c’est divertir ou émouvoir ; parfois c’est rallier à un courant de pensée, à un mouvement, à une cause.
Une fois que l’on a dit ça, déjà on arrête de considérer qu’un métier est de “la vraie écriture”, un autre pas. Ou de mépriser la vente. Ou de mépriser la poésie. Ou…
On arrête. Et on se concentre sur les mots.
La vraie question à poser aux “copywriters”, aux “concepteurs rédacteurs” ou autres communicants de la plume, c’est : “est-ce que tu aimes les mots ?”
“Est-ce que tu aimes les malaxer et jouer avec pour que ton lectorat ou ton audience soit touché(e) et se mette en mouvement ?
Je crois que la réponse est trop souvent : “non”. Et c’est pour ça que le copywriting est aussi médiocre, du moins en francophonie.
J’ajoute que cette carence n’est pas unilatérale. Il n’y a pas qu’un problème de manque d’amour des mots chez les copywriters.
Il y a aussi un problème de manque d’amour de la vente chez les poètes et autres “druides” modernes de l’écriture !
On en revient toujours au même et c’est le positionnement (si difficile, putain, pourquoi j’ai fait ça !) que j’ai pris en créant BILS : rassembler tous les métiers d’écriture pour se concentrer sur la puissance des mots. Point.
Leur redonner une place dans un monde d’image(s) et de surface.
Retrouver et redonner le plaisir de les utiliser comme vecteurs de ce dont notre monde à besoin : de l’action, de la contemplation, de la réconciliation.
C’est aussi pour ça que je me concentre sur la création de contenu et le coaching, en plus de prestations de conception rédaction – mais sans expérience publicitaire pure en agence comme toi (parce qu’à la base je suis ingénieure en bio quand même !)
J’aime cette idée de proposer une vision, à défaut de pouvoir casser les codes en entreprise.
Et mes clients sont des individus, free-lances et/ou entrepreneurs et/ou dirigeants, qui décident d’y adhérer et de la suivre pour la diffuser à leur tour dans leur milieu professionnel – par la force de leur écriture.
Réapprendre à aimer les mots et à les utiliser est une libération et un “empuissancement” (comme disent nos amis québécois) qui pour moi est un “must have” et pas un “nice to have”.
Words Matter. Make them count 🙂
Je te propose de conclure cet échange (qui pourrait facilement donner naissance à un livre du style “Correspondants” entre Grand Corps Malade et Ben Mazué) avec deux questions.
La 1e : tu es récemment passé 100% à ton compte, en tant que créateur de contenu et copywriter indépendant. En 1 ou 2 phrases, qu’est-ce que tu veux offrir qui améliore le monde du copywriting ? 🙂
Et la 2e : quel message aimerais-tu faire passer aux marques françaises ou francophones qui sont nombreuses à considérer l’écriture comme un truc un peu fonctionnel pas essentiel. D’ailleurs, peu parlent “d’écriture” mais de “rédac”. Et l’abordent un peu comme on s’adresserait à un Chat GPT ou consorts sans âme ni créativité : “vas y, ponds moi 600 mots ultra optimisés et pas chers, j’ai pas le temps et pas l’argent (pour ça)”.
Loris – 7 mars, 2023
Pour répondre à ta 1e question : je dirais plus d’histoires. Qu’une marque soit aussi passionnante à découvrir qu’une série Netflix. Qu’on puisse s’attacher à un produit parce qu’il a une histoire. Ou parce qu’il est capable de nous en faire vivre. Pareil avec les fondateurs et les employés d’une entreprise.
Quant à la 2e : en 2004, Jeff Bezos a interdit à sa team senior d’utiliser PowerPoint. À la place et avant chaque rendez-vous, les membres devaient écrire une histoire de six pages sur le sujet traité. Avant ça, ils se contentaient de lister des infos sous forme de bullet points, et aucune idée ne sortait des meetings. Alors qu’écrire une histoire permettait de lier les événements entre eux et forçait les cadres à développer une compréhension du passé, un avis sur le présent et une vision long terme.
À vous entrepreneurs : si vous trouvez parfois vos employés un peu mous, sans idées, l’écriture est le moyen le plus efficace et le moins cher pour changer ça. Pareil pour la communication externe, c’est le moyen le plus efficace et le moins cher de communiquer autrement.